Dès l’âge de trois ans et certainement avant, l’enfant a, sans nul doute, les capacités cognitives pour apprendre à lire. La question qui se pose n’est donc pas : « peut-il le faire ? » mais « est-il utile et judicieux de le faire ? ». Ce que les parents – dont on comprend bien l’anxiété – doivent savoir, c’est que l’enjeu n’est pas d’apprendre à lire tôt, mais d’apprendre à lire bien : c’est-à-dire en comprenant à la fois à quoi sert le code écrit et comment il fonctionne.

Lors de l’apprentissage de la lecture, il importe que l’on veille tout particulièrement à ce que tous les enfants apprennent à identifier les mots avec efficacité ; c’est-à-dire en alliant rapidité et précision. Faute d’une identification des mots précise et complète, la lecture d’un texte est approximative sinon aléatoire. Identifier les mots n’a rien à voir avec un jeu de devinettes : il ne s’agit pas de supputer, de tâtonner, d’interroger le contexte dans lequel se trouve un mot pour identifier celui-ci. L’identité d’un mot n’est jamais de l’ordre du peut-être ; on peut se tromper ; on peut réussir ; mais dans l’un ou l’autre cas, c’est la maîtrise du code et non l’apport aléatoire du contexte qui conditionne la réussite ou l’échec.

Chaque mot fait l’objet d’une convention sociale qui accouple un support graphique spécifique à un sens spécifique et cet accouplement n’a rien de naturel. Rien ne prédispose la forme graphique du mot « boulangerie » à évoquer l’endroit où l’on vend du pain ; pas plus qu’en anglais, le mot bakery à désigner ce lieu ou bien en espagnol le mot panaderia. C’est uniquement parce que tous les membres de la communauté linguistique française acceptent le fait que c’est bien la combinaison « bou-lan-ge-rie » et pas une autre qui doit être associée au sens de « endroit où se vend le pain » que ce mot existe et fait partie de notre vocabulaire. Le jeune lecteur apprend progressivement à associer l’assemblage de lettres d’un mot écrit à l’assemblage de sons qui lui correspond.

D’autre part, c’est en mémorisant la forme orthographique des mots, que l’élève se constitue progressivement une sorte de dictionnaire mental qu’il pourra interroger sans avoir à passer par la forme phonique du mot. L’automatisation et la précision de l’identification des mots restent un des objectifs de base de l’apprentissage de la lecture. Mais complémentairement, il convient de faire découvrir aux élèves les principes d’une compréhension équilibrée : c’est-à-dire une compréhension respectueuse du texte, mais sachant interpréter les mots de l’auteur selon sa propre sensibilité, ses propres expériences. Pour assumer sa pleine responsabilité, le jeune lecteur ne doit ni identifier laborieusement des mots, ni imaginer des histoires à partir de quelques mots glanés au hasard dans le texte. Enfin, une fois acquis les mécanismes de la lecture, l’enfant deviendra un lecteur polyvalent s’il apprend à identifier les différentes catégories de textes (conte, énoncé de mathématiques, modes d’emploi…) et à ajuster son comportement de lecteur en fonction des exigences de chacun de ces textes.